JE ME SUIS FAIT TOUT PETIT
Paroles | Georges Brassens | |
Musique | Georges Brassens | |
Interprète | Georges Brassens | |
Année | 1956 |
La première chanson du quatrième 33 tours de Brassens, et qui a fini pour cette raison par lui donner son nom, est aussi la première explicitement consacrée à "Püppchen", même si J'ai rendez-vous avec vous renvoyait déjà sans doute à elle. Le mot "poupée" figure en tout cas en toutes lettres dans le refrain. Curieusement, alors que le sujet aurait dû aboutir à un contrepoint lumineux au diptyque consacré à "la petite Jo" (Une jolie fleur / P... de toi), Je me suis fait tout petit donne une vision bien amère et résignée de l'amour : le "dur à cuir" "file tout doux" devant "la fine mouche" et conclut, désabusé : "en ses bras en croix je subirai mon / Dernier supplice. / Il en est de pires, il en est de meilleurs, / Mais, à tout prendre, / Qu'on se pende ici, qu'on se pende ailleurs, / S'il faut se pendre."
BRASSENS ET PÜPPCHEN
(Georges Brassens ; Louis-Jean Calvet ; 1991 ; Editions Lieu commun)
Parallèlement à l'histoire tumultueuse de la petite Jo, Larue, Brassens, Miramont, de son exil de Troyes, Hémery et Thérond poursuivaient leurs efforts pour publier Le Cri des gueux. Le premier numéro était prêt depuis longtemps, la maquette réalisée, les articles rédigés, mais il manquait un financier. Après avoir frappé à plusieurs portes, avoir sollicité des mécènes potentiels et avoir chaque fois essuyé le même refus, les amis se rendent à l'évidence : le projet du Cri des gueux n'intéresse personne. C'est ainsi que mourut une grande idée journalistique, en même temps qu'une histoire d'amour orageuse...
En fait, c'est à cette époque que Georges rencontre près de l'impasse Florimont Joha Heiman, une jeune femme née en Estonie, et que sa vie sentimentale va s'organiser d'une tout autre façon. Joha, qui avait quitté son pays natal à dix-neuf ans, en 1930, pour devenir jeune fille au pair à Paris, s'est mariée quatre ans plus tard, a eu un fils, est devenue femme au foyer... Mais, comme tout le monde, elle a subi le choc de la guerre : son mari a passé quatre ans en Allemagne, prisonnier, et à son retour les choses se passent mal, le couple ne se retrouve pas... Georges et Joha se croisent fréquemment dans le quartier. Georges regarde de loin cette petite femme blonde, souriante, gracile et gracieuse, Joha rit sous cape de ce gros balourd timide comme une jeune fille, et un jour, dans le métro, il ose enfin lui adresser la parole. Ils sont tous les deux disponibles, enfin presque, et ce « presque » fait que leur idylle va s'établir sur des bases étranges. Jamais la « Blonde Chenille », comme Brassens l'appelle alors, ne mettra en effet les pieds impasse Florimont : Jeanne est accueillante, certes, mais elle accueille plutôt les copains que les copines, elle est aussi extrêmement jalouse, et Georges n'a pas du tout envie de provoquer ses colères. En outre, Joha n'est pas encore divorcée, elle est également plus ou moins forcée de se cacher. Les deux amoureux se donnent donc rendez-vous à un coin de rue ou dans un bistrot, vont chez les Laville, rue Notre-Dame-des-Champs, chez Onteniente, rue Pigalle. Ces amours qui naissent de façon quasi clandestine vont en garder une caractéristique très particulière : pendant plus de trente ans, jusqu'à la mort de Georges, ils vivront une vie « commune séparée », chacun chez soi mais toujours ensemble. Chacun en effet a son appartement, mais Georges téléphone tous les jours à Joha qui passe le voir fréquemment ; elle ira plus tard avec lui dans sa maison de campagne, à Crespières puis à Lézardrieux, elle le suivra en tournée, toujours là, toujours dans les coulisses, veillant à tout. Mais, en même temps, chacun gardera ainsi sa distance, sa liberté.
On peut suivre de façon assez fidèle cette relation très particulière dans certaines chansons de Brassens qui, à nouveau, prennent ici racine dans sa vie. J'ai rendez-vous avec vous, par exemple, retranscrit ces premières années d'amours clandestines, où l'on se cachait de tout, du mari de Joha, de Jeanne, où la vie était difficile, pas de boulot, pas d'argent, ce qui n'empêchait pas que :
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous.
Puis on trouve dans Je me suis fait tout petit comme un écho de l'étonnante transformation de cet ours se muant en nounours devant une poupée :
Je m'suis fait tout p'tit devant un' poupée
Qui ferme les yeux quand on la couche.
Une petite poupée, « Püppchen » en allemand, l'une des langues de Joha, « Püppchen » qui deviendra son surnom dans la galaxie Brassens. Saturne, la chanson du temps qui passe, fait aussi écho à cet amour qui défie le temps et les conventions :
Je sais par cœur toutes tes grâces
Et, pour me les faire oublier,
Il faudra que Saturne en fasse
Des tours d'horloge de sablier
Et la petite pisseuse d'en face
Peut bien aller se rhabiller.
Enfin, et peut-être surtout, La Non-Demande en mariage, un pur chef d'œuvre, est comme un monument à cet amour sans entraves :
J'ai l'honneur de
Ne pas te de-
mander ta main
Ne gravons pas
Nos noms au bas
D'un parchemin.
Püppchen est donc entrée dans la vie de Brassens, elle n'en sortira plus jamais.