UNE JOLIE FLEUR

Paroles Georges Brassens
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1954

Premier volet, avant P... de toi, du diptyque consacré à "la petite Jo" sur le troisième 33 tours de Brassens (Les sabots d'Hélène), "la petite Jo" étant une jeune femme à l'origine de tourments qui contribuèrent sans doute à renforcer le machisme de l'auteur, un machisme inhérent à la société qui l'a vu naître mais qu'il chanta avec un plaisir évident tout au long de son œuvre. Cette façon de considérer les femmes s'étale notamment ici sans vergogne dans un ignoble "Mais pour l'amour on ne demande pas / Aux filles d'avoir inventé la poudre". Une jolie fleur fournit également un témoignage unique sur le processus de création chez Brassens : les archives en conservent une première version chantée à la télévision quelques mois avant l'enregistrement définitif en studio et publiée beaucoup plus tard dans le DVD Elle est à toi cette chanson (2004). Une jolie fleur s'appelait alors Le bout du cœur ; le refrain et la musique étaient différents et il lui manquait encore un couplet.

BRASSENS ET LA PETITE JO
(Georges Brassens ; Louis-Jean Calvet ; 1991 ; Editions Lieu commun)

Nul ne sait si Brassens récita du Baudelaire à Jeannine (qui se faisait appeler Josette et qu'il baptisera « la petite Jo ») le jour de juin 1945 où il la rencontra au métro Denfert-Rochereau. Mais l'on sait, de façon plus prosaïque, que la jeune fille (elle a tout juste dix-sept ans) avait un clou dans sa chaussure. Jo, qui travaille à la perception du quatorzième arrondissement, intéresse immédiatement Brassens, à la fois par son discours poétique et par les malheurs qu'à l'entendre elle a vécus : un père qui ne l'aime guère, une belle-mère insupportable... Mais Jeanne est jalouse, et Brassens se sent obligé de se cacher : c'est André Larue qui servira de boîte postale, recevant les lettres de Jo qu'il transmet à Georges. C'est d'ailleurs Larue qui, dans un livre*, divulguera cette anecdote, et même si Pierre Onteniente pense aujourd'hui qu'elle aurait dû rester secrète, elle appartient désormais au domaine public.

A la même époque, en juin 1945, Brassens, Emile Miramont et André Larue ont fondé le « parti préhistorique », qui ne compte que trois membres, et songent à lancer un journal, Le Cri des gueux. Miramont vit à Troyes et n'est tenu au courant de l'évolution de la situation que par lettres, Georges et André se rencontrent souvent, avec Marcel Visse, Maurice Hémery, Raymond Darnajou et Roger-Marc Thérond qui ont été intégrés au projet. L'histoire de la petite Jo est donc mêlée à celle du Cri des gueux et du parti préhistorique. Larue suit bien sûr de près cette idylle, pour l'instant toute platonique, puisque c'est lui qui sert de boîte aux lettres. Et il témoigne aujourd'hui d'une correspondance passionnée entre les deux tourtereaux, mais une correspondance qui ne dure guère : Jo disparaît au cours de l'été, en août. On va à son travail, à la perception du quatorzième, elle n'y a plus remis les pieds, on la cherche aux endroits où elle avait l'habitude de rejoindre Georges, en vain... Et puis elle se manifeste, écrit qu'elle est séquestrée par son père, appelant au secours. Brassens, bien sûr, est touché et se mobilise : il envoie une lettre au père de la jeune fille, tente de plaider sa cause, une lettre restée sans réponse, puis une deuxième, une troisième. Le père finira par répondre, pour dire que sa fille est mythomane, qu'il ne la séquestre en rien, qu'elle peut aller où bon lui semble : « Ma fille se porte à merveille et n'est pas séquestrée, comme vous pourriez le supposer. » Et Jo fait effectivement sa réapparition deux mois plus tard, chez Larue, en février 1946 : « Abritez-moi, je me suis sauvée de la maison paternelle. »

La suite est une série de miniscandales. On loge d'abord la fugitive chez Raymond Darnajou, membre du « comité de rédaction » du Cri des gueux : il vit avec son amie dans un deux pièces, mais il y a un divan dans le salon, et le couple a le cœur sur la main. Un mois plus tard, cependant, le drame éclate : Jo est sale, paresseuse, et en plus elle vole les commerçants du coin, ce qui n'arrange pas les relations de voisinage... Furieux, Darnajou la met dehors, et l'on installe Jo chez un autre membre du « comité de rédaction » du Cri des gueux, Maurice Hémery, qui habite en banlieue, à Aulnay-sous-Bois. Mais la jeune fille s'échappe bien vite et réapparaît rue Pigalle, s'imposant chez le bon Pierre Onteniente, qui lui laisse son lit et dort sur le tapis.

C'est à cette époque que les relations avec Brassens vont changer : Jo perd sa virginité dans un hôtel des environs où les deux amants se retrouvent dorénavant régulièrement. Mais voilà : la jeune fille est non seulement mythomane, cleptomane, d'une hygiène douteuse, mais elle est aussi infidèle. Peu de jours après avoir découvert, dans les bras de Georges, les joies de l'amour, elle va les goûter ailleurs, mais de façon vénale cette fois, et transmettra à son amant quelques souvenirs désagréables de cet écart de conduite. Brassens est bien sûr furieux et craint en outre d'être poursuivi au mieux pour détournement de mineure, au pire pour proxénétisme. « Après des injections aigües d'antiseptique » (Brassens a retrouvé un ami sétois devenu médecin qui lui fait des piqûres puis soigne la jeune fille), ce sera, en août 1946, la rupture. Jo, qui vient d'avoir dix-huit ans, poursuivra son destin : quelques mois de prison, à Saint-Lazare, puis semble-t-il le trottoir. Huit vers célèbrent directement cette histoire :

Un soir, à la suite de
Manœuvres douteuses,
Elle tomba victime d'une
Maladie honteuse.
Lors, en tout bien, toute amitié,
En fille probe,
Elle me passa la moitié de ses microbes.

Mais on trouve le souvenir de la petite Jo dans trois chansons, Le Mauvais Sujet repenti donc (1952), Putain de toi (1953) et Une jolie fleur (1954).

* Brassens ou la mauvaise herbe

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