LA MAUVAISE RÉPUTATION

Paroles Georges Brassens
Musique Georges Brassens
Interprète Georges Brassens
Année 1952

La mauvaise réputation marque le début de la discographie de Brassens : enregistrée le 19 mars 1952, elle est publiée en juin de la même année sur un 78 tours, associée au Gorille. Le texte commence par un des incipit les plus célèbres de l'Histoire de la chanson : "Au village, sans prétention, / J'ai mauvaise réputation". Le cadre rural (celui hérité de la France médiévale, qui est alors en train de disparaître sous l'effet de l'exode de ses habitants vers les villes) et la marginalité fièrement revendiquée semblent ainsi vouloir annoncer d'emblée l'ensemble d'une œuvre encore en devenir. La suite ne dément pas l'impression, avec ses piques anticonformistes, antimilitaristes et anticléricales. La mauvaise réputation est en somme à Brassens ce que Je chante est à Trenet : sa chanson-programme, un programme auquel, contrairement au Fou chantant, il restera toujours fidèle. Le défilé des divers handicapés qui s'en prennent ici au canteur se retrouvera par exemple dans une de ses dernières chansons, une bonne vingtaine d'années plus tard : Les patriotes.

LA NAISSANCE DU VILLAGE
(L'Histoire n°391 ; Laurent Feller ; septembre 2013)

Quand le village est-il apparu en Occident ? Les historiens ont longtemps pensé que les hommes avaient été regroupés, parfois sous la contrainte, autour de l'An Mil, par les pouvoirs locaux. C'était compter sans les découvertes des archéologues.

Certains, comme le sociologue Jean-Pierre Le Goff, annoncent sa disparition, en tout cas dans les formes sous lesquelles on se plaît à l'imaginer : une communauté solidaire rassemblée à la campagne autour d'un clocher ou d'un château. Mais quand le village est-il apparu ? Cette question a longtemps pu paraître incongrue : forme familière du paysage rural, le village semblait exister de toute éternité. En réalité, d'autres formes de regroupement des hommes prévalaient au Moyen Age.

LE MODÈLE DE L'AN MIL

C'est dans les années 1970 qu'historiens et archéologues ont commencé à s'interroger sur les origines du village. On s'accordait alors à le définir comme un groupement de maisons bâties pour durer, organisé autour d'équipements collectifs par une communauté d'habitants structurée par des institutions (seigneurie, paroisse, commune).

En France, cette thématique s'insérait au sein d'une réflexion plus large sur l'organisation de la société médiévale et notamment sur l'apparition de la seigneurie. Depuis la thèse de Georges Duby, en 1953, la seigneurie est définie comme un territoire soumis à un double contrôle économique et politique : le seigneur y détenait à la fois la propriété du sol et le pouvoir de commander les hommes habitant sur place. Or c'est à l'intérieur du village que l'autorité du seigneur se déploie et que l'Église assure l'encadrement des fidèles. Le village est donc devenu le lieu idéal pour étudier le fonctionnement de la seigneurie et de la paroisse.

La mobilisation de concepts clarificateurs puissants, comme celui d'incastellamento, inventé par Pierre Toubert en 1973, auquel répondit dans les années 1980 celui d'« encellulement » (Robert Fossier), permit de proposer une chronologie. Pour Pierre Toubert, en Italie, et plus particulièrement dans le Latium, le village est né, au Xe-XIe siècles, de la volonté des membres de l'aristocratie de rationaliser la mise en valeur de leurs terres et de prendre la meilleure part de l'essor économique en cours. L'Italie centrale était en effet caractérisée par l'absence de toute forme d'autorité publique et par les premiers effets du développement de la production agraire.

Mobilisant leurs pouvoirs et leurs ressources économiques, les seigneurs, entre 930-950 et 1030-1050, ont regroupé les hommes, par la contrainte si nécessaire, afin de les concentrer dans des habitats perchés, clos et aussitôt construits en pierre. En même temps, ils opéraient de vastes remembrements afin de doter leurs fondations de terroirs hiérarchisés et permettre que les villages soient immédiatement viables. Ceux dont le territoire s'avérait non viable d'un point de vue économique, ou qui étaient mal placés par rapport aux axes de circulation ou aux ressources naturelles, ne survécurent pas. Un mouvement d'abandon accompagna le mouvement de création.

Le paysage ainsi construit avait recouvert le paysage précédent, celui hérité de l'Antiquité tardive et exploité durant le Haut Moyen Age (Ve-IXe siècle). On admettait alors que l'habitat de la période suivant la fin de l'Empire romain était dispersé, peu hiérarchisé, et que les paysans, ne formant pas communauté, vivaient sur leurs exploitations, entretenant peu de liens avec la société qui les entourait. En l'absence de pouvoir militaire ou politique fort, le château était un élément secondaire, voire absent. Les lieux de culte, peu nombreux, ne fournissaient pas de leur côté de pôles d'agrégation aux habitants. Ce modèle a connu un succès considérable. Son intérêt était de rendre compte de la plupart des phénomènes sociaux, politiques et économiques de la fin du Haut Moyen Age, et de leur offrir un cadre matériel aisé à se représenter. Transposé avec plus ou moins de bonheur, il a fourni les cadres d'explication de la naissance des paysages médiévaux à des générations d'historiens.

Ainsi, il y aurait eu, vers l'An Mil, un peu avant ou un peu après, une rupture brutale entre l'ordre issu de l'Antiquité tardive et l'ordre féodal. La société féodale s'est constituée autour de la paroisse et de la seigneurie. Le village se trouvait au centre d'un territoire dont les habitants se partageaient l'exploitation. Le fait d'y habiter et d'y travailler ensemble leur permettait de « faire communauté ». Territoire villageois, ou finage, seigneurie et paroisse formeraient ainsi un espace homogène et continu, à l'image de ce que seront les territoires communaux de l'époque moderne et contemporaine. Cette thèse est aujourd'hui discutée.

L'APPORT DES FOUILLES

Dans le même temps, en effet, l'archéologie médiévale connaissait des avancées décisives. La discipline, apparue en France dans les années 1960 autour du programme de recherches consacré aux villages désertés durant la guerre de Cent Ans, connaît, dans les années 1980, un essor considérable, lié à la multiplication des fouilles de sauvetage. Or, dès ce moment, les archéologues ont découvert que des regroupements d'hommes avaient existé bien avant l'An Mil. Dès l'époque carolingienne, des habitats étaient groupés autour des cimetières ou des églises. Ainsi, à Villiers-le-Bel, dès le VIIIe siècle, les morts étaient enterrés dans les lieux habités, en rupture avec les modes d'ensevelissement de l'époque mérovingienne.

Embarrassés, les archéologues ont forgé le terme de « proto-village » pour désigner ces habitats qui n'avaient pas duré, mais apparaissaient tout de même fort nombreux. Ils insistèrent également sur une idée très forte : le village des historiens et celui des archéologues ne sont pas les mêmes. En effet, les sources des historiens, à savoir les textes, la plupart produits par les autorités ecclésiastiques ou seigneuriales, permettent de dater approximativement l'apparition de villages et d'établir, toujours approximativement, les limites du territoire dépendant de lui. Le village des historiens se caractérise donc par un territoire, exploité par une communauté gouvernée par un seigneur et contrôlée par un prêtre. Si un de ces éléments vient à manquer, on admet que l'on n'a pas affaire à un village. Or ces sources concordantes ne sont souvent pas disponibles avant le XIIe voire le XIIIe siècle.

Les archéologues, de leur côté, ne perçoivent pas la même réalité. Les fossiles matériels qu'ils découvrent sont des bâtiments, en pierre ou en bois, des sépultures et des objets de céramique ou de fer, souvent sous forme de fragments. Les maisons de bois ne se perçoivent qu'en négatif ou en creux, les structures qui les composent ayant disparu par pourrissement. Seuls demeurent les trous dans lesquels elles étaient fichés dans le sol.

Cette opposition est apparue au grand jour lors d'une exposition tenue en 1986 au musée des Arts et Traditions populaires. Elle rendait pour la première fois accessibles les résultats de fouilles de sauvetage ou d'urgence et modifiait l'idée que l'on se faisait de l'habitat du Haut Moyen Age. Le fer était fréquemment utilisé pour l'outillage et les technologies d'une métallurgie rudimentaire étaient maîtrisées et diffusées. Et, si les maisons étaient pour la plupart de bois et de terre, elles ne se limitaient pas aux sinistres fonds de cabane découverts à Brebières (Pas-de-Calais) dans les années 1960.

Les fouilles menées en région parisienne montraient également l'existence d'une hiérarchisation économique à l'intérieur de l'habitat, dont les formes étaient desserrées, les maisons étant construites dans des enclos. On était loin du « village tas » décrit par les historiens. Mais il s'agissait bien de formes agglomérées, polarisées autour d'un lieu de culte ou d'un cimetière. Il fallait donc les considérer comme des villages, simplement parce qu'elles avaient un certain nombre de leurs fonctions. La période carolingienne et post-carolingienne, du VIIIe au XIe siècle, est ainsi apparue comme un moment important de création d'habitats, dans un contexte de démarrage très lent du développement économique et d'un renforcement considérable des pouvoirs seigneuriaux.

Mais ce modèle ne s'appliquait pas partout. C'est d'abord en Italie que les archéologues ont observé ces mouvements de regroupement spontanés et organisés par des communautés paysannes structurées, qui avaient, dès le Haut Moyen Age, et donc bien avant l'installation des seigneuries, une capacité d'action autonome. Si l'on adopte ce point de vue, il faut admettre que des paysans furent en mesure de fonder des villages en dehors de l'action seigneuriale.

En Italie, les archéologues ont repéré un vaste et lent mouvement de rassemblement des hommes, spontané, dès le VIIe siècle. En Toscane notamment, l'initiative seigneuriale des Xe et XIe siècles semble s'être limitée à la construction d'une fortification autour du village apparu en dehors de tout leadership. Ce sont les élites villageoises qui sont au cœur de l'action, qui prennent les initiatives économiques et qui organisent la croissance.

Dans ces conditions, les questionnements sont passés du village dans sa matérialité et de la chronologie de son apparition, à celle de la modification des paysages. Les sociologues ou les géographes nous poussent aujourd'hui à voir le village d'un autre œil. Le village est, certes, un lieu à partir duquel un territoire agricole est mis en valeur. C'est un premier niveau d'analyse, de type économique et gestionnaire. Mais la production agricole pouvait aussi se faire à l'extérieur ou bien les paysans pouvaient faire paître leurs troupeaux ailleurs. Il n'y a pas d'adéquation entre lieu de travail et lieu de vie au Moyen Age. Un village et son territoire ne formaient pas toujours une circonscription continue. Les plans de sites élaborés par les archéologues montrent un espace éclaté en de multiples pôles de peuplement. Le village apparaît ainsi comme le point vers où convergent un flux de produits, pour y être consommés, échangés ou stockés.

D'autre part, plusieurs seigneurs pouvaient se partager un même village et leurs redevances. Ils n'habitaient pas nécessairement dans le ou les villages qu'ils dominaient et ne consommaient pas toujours sur place les produits des redevances qu'ils exigeaient. Le village est, de façon privilégiée, l'espace de la communauté paysanne, celui qu'elle construit par son travail et sur lequel elle exerce des droits qui peuvent lui être disputés, comme le droit de chasse, non réglementé jusqu'au XIIIe siècle, ou encore le droit de glanage, imprescriptible celui-là puisque encore en vigueur dans le Code civil français.

Ce que l'on désigne du terme d'« espace religieux » est un autre élément essentiel de la cospatialité. La géographie des paroisses n'est pas fixée avant le XIIe siècle et, à cette date encore, tout habitat regroupé n'est pas chef-lieu de paroisse. Elle ne constituait pas un espace continu, ou homogène et les dévotions pouvaient se porter vers des lieux de culte secondaires qui concurrencent la paroisse dans le prélèvement des revenus relevant en théorie de l'évêque et du clergé installé par lui. Il n'est pas jusqu'aux lieux de sépulture qui ne posent problème, l'élection de sépulture demeurant libre pour qui en a les moyens ou en éprouve la nécessité. Les nobles continuèrent ainsi d'utiliser leurs nécropoles privées afin d'accrocher le souvenir de leurs ancêtres à un lieu précis.

A partir du XIe siècle, enfin, les seigneurs multiplièrent les signes matériels de leur présence sur le territoire par l'édification de mottes ou de châteaux, affirmant de la sorte leur revendication à la domination de l'espace. Mais la multiplicité et l'enchevêtrement des droits seigneuriaux, l'existence de coseigneuries ou de systèmes de partage du pouvoir font que la seigneurie n'apparaît plus comme un facteur unificateur ou simplificateur de l'espace rural.

Un demi-siècle d'études sur le village a donc changé notre approche et notre compréhension de la question de son apparition. La diversité des acteurs et la multiplicité des usages qui est fait d'un même espace ont amené à le considérer comme un objet complexe et changeant, reflétant la dynamique de sociétés vivantes, créant et modifiant sans cesse son environnement.

Le village circonscription que nous voyons aujourd'hui disparaître et que nous imaginions immobile ou immuable, avec son habitat plus ou moins groupé autour de son église, a en réalité toujours été en mouvement. Ses cadres comme son territoire n'ont été stabilisés que fort peu de temps, entre la fin de l'époque moderne et le milieu du XXe siècle.

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